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Carlos Zàrate-Chaves : Explorer les interactions entre Xanthomonas et ses plantes hôtes, des tropiques vers l’Occitanie

Carlos Zàrate-Chaves, chercheur INRAE a rejoint l’équipe SIX du LIPME en janvier 2025. Il évoque dans cet entretien, les motivations qui l’ont incité à effectuer ses travaux de recherche en microbiologie moléculaire et phytopathologie.

 


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Entre Montpellier et Bogota, vers de nouvelles connaissances de l'agent causal de la brûlure bactérienne du manioc.


Isabelle Mila (IM) : Tu as fait un doctorat à l’UMR PHIM de Montpellier entre France et Colombie, peux-tu nous en dire plus ?

Carlos Zárate-Chaves (CZ) : J’ai réalisé ma thèse dans l’UMR PHIM, au sein de l’équipe XPLAIN (Xanthomonas PLAnt Interactions), grâce à une bourse ARTS de l’IRD. L’encadrement était partagé entre la France et l’Université de los Andes en Colombie, mon pays d’origine. J’alternais 6 mois dans chaque pays. Dans la continuité de mon master, j’ai approfondi les aspects moléculaires de l’interaction entre la bactérie pathogène Xanthomonas phaseoli pv. manihotis (Xpm) et le manioc, axe de recherche particulièrement important pour l’Amérique du Sud, l’Afrique et l’Asie, où la maladie causée par ce pathogène, la bactériose vasculaire du manioc, pose de vrais défis agricoles.

(IM) Quels sont les symptômes de la bactériose vasculaire du manioc et quel était l’objectif de ta thèse ?

(CZ) Cette bactérie provoque des tâches angulaires et huileuses sur les feuilles, un flétrissement, puis un véritable « feu bactérien ». Le pathogène bloque la circulation de la sève dans la tige, provoquant la mort de la plante. Le manioc se multipliant principalement par bouturage, cela favorise la dissémination de la maladie et réduit la vigueur des nouvelles générations.

 

Chakra amazonienne et bactériose vasculaire du manioc (Equateur) ©C. Zárate-Chaves
Chakra amazonienne et bactériose vasculaire du manioc (Equateur) ©C. Zárate-Chaves

J’ai étudié les aspects moléculaires d’un groupe d’effecteurs appelés Transcription Activator-Like effectors ou effecteurs TAL, qui sont des armes utilisées par la bactérie pour coloniser la plante. Pour cela, j’ai caractérisé la diversité des sous-groupes d’effecteurs TAL parmi les populations de pathogènes en Colombie et à l’échelle mondiale. J’ai également étudié certains effecteurs TAL, ce qui nous a permis de découvrir un nouveau gène de sensibilité du manioc (type SWEET, publication en cours). Et enfin, j’ai développé un système CRISPRi (interférence), permettant de cibler simultanément plusieurs gènes, jusqu’à 16 gènes « silencés » avec un seul guide sgRNA grâce à une enzyme Cas9 inactive qui se fixe sans couper l’ADN [1 ; 2]. Cet outil m’a permis d’analyser les effets des TALomes (l’ensemble des effecteurs TAL présents dans une souche) sur la pathogénicité de Xpm et ouvrir des perspectives sur la compréhension du rôle des familles d’effecteurs.

 

Le choix de la pathologie végétale : « donner du sens à mes recherches »


(IM) Qu’est ce qui a motivé ton choix de t’orienter vers la pathologie végétale ?

(CZ) Depuis tout petit, j’ai la passion des sciences. À 16 ans, je m’orientais vers la chimie, puis la microbiologie et les biotechnologies m’ont captivé. D’abord attiré par la biologie microbienne, j’ai exploré son utilisation en génie végétal, par exemple pour la production de vaccins. Mon intérêt pour la biotechnologie végétale a grandi avec le projet sur la maladie du manioc, dont les enjeux en sécurité alimentaire et en environnement sont majeurs. Cela donne du sens à mes recherches. Dans le domaine médical les outils sont proches, mais je ne voulais pas travailler sur des modèles animaux.

 

Impact des modes de culture sur le développement des pathogènes du manioc


(IM) Quel est ton parcours post-thèse ?

(CZ) J’ai réalisé 2 ans de post-doctorat au département ECOBIO de l’UMR IRD PHIM, juste après la pandémie de 2021. J’ai décroché une opportunité de post-doctorat centré sur l’étude du microbiome, avec un projet que j’ai moi-même écrit, fait financer, et mené en collaboration avec la Colombie, l’Équateur (avec le soutien du Laboratoire Mixte International BIO-INCA) et les Etats-Unis (The Donald Danforth Plant Science Center). Mon projet était centré sur une approche pathobiome, c’est-à-dire l’ensemble des micro-organismes associés aux plantes de manioc malades (feuilles, racines et sol). Nous avons comparé monocultures et polycultures, et étudié leur impact sur la distribution de la maladie. Cela m’a permis d’aller sur le terrain, échantillonner en Amazonie équatorienne et colombienne. 

 

Agriculteurs et collègues, Universités de los Andes (Colombie) et PUCE (Equateur) ©C. Zárate-Chaves
Agriculteurs et collègues, Universités de los Andes (Colombie) et PUCE (Equateur) ©C. Zárate-Chaves

Par exemple, au nord de la Colombie, deux pratiques cohabitent : la monoculture où les cultures précédentes sont brûlées, et la culture du manioc (8 mois) associée avec du maïs (3-4 mois) permettant une production continue.

En Amazonie, on trouve des cultures vivrières traditionnelles (« chakra warmi » : parcelles d’environ 1 ha cultivées) principalement cultivées par des femmes, avec fruits, légumes, manioc, banane plantain, cacao, à vocation non commerciale. Toutes ces pratiques influencent la structuration et la dispersion des populations de pathogènes [3].

J’ai effectué un deuxième post-doctorat sur les interactions entre bactéries et bactériophages (virus de bactéries) entre les unités PHIM et MIVEGEC* (équipe Virostyle avec Rémy Froissart, spécialiste des pathogènes humains). Nous voulions transposer leur savoir-faire aux maladies des plantes. Nous avons mené des campagnes d’échantillonnage dans le Sud de la France (projet défi clé Octaave, région Occitanie) ciblant le même pathogène tropical du manioc Xpm. Nous avons mis en évidence une grande quantité de bactériophages, capables d’attaquer Xpm et d’autres Xanthomonas et des différences de spécificité notables sur 39 souches Xpm testées. Cette étude ouvre la voie au développement d’une approche de biocontrôle contre la bactériose vasculaire du manioc.

Toutes ces expériences me permettent aujourd’hui de me définir comme un microbiologiste moléculaire, spécialisé en phytopathologie : mon parcours allie microbiologie, génétique et interactions moléculaires.

 *Maladies Infectieuses et Vecteurs : Écologie, Génétique, Évolution et Contrôle


(IM) Tu as récemment publié un article dans The Conversation ?

(CZ) Oui, j’ai eu l’opportunité de rédiger un article de vulgarisation scientifique pour répondre de façon simple à une question complexe : comment les plantes se défendent elles contre les maladies ? J’y aborde les bases de l’immunologie végétale et les illustre à travers un exemple tiré des travaux de mes collègues sur une espèce de Xanthomonas pathogène du riz [4].

(IM) Suite à tes expériences de post-doctorat en Colombie et Equateur, quelles sont les différences qui te marquent le plus entre les laboratoires français et étrangers ?

(CZ) La mutualisation des moyens : En France, la collaboration et le partage d’expertise sont structurants, là où, en Colombie et Équateur, c’est souvent un chercheur par équipe, maître de sa discipline : j’apprécie beaucoup le côté collectif et collaboratif français.

Et les ressources humaines et l’investissement : En France, les moyens et l’investissement public sont notables (techniciens, ingénieurs), alors qu’en Amérique latine le travail repose majoritairement sur les étudiants.

 

Comprendre la spécificité d’hôtes des Xanthomonas


(IM) En quoi consiste ton projet de recherche dans l’équipe SIX au LIPME ?

(CZ) L’objectif de mon projet est de décortiquer les règles qui gouvernent la spécificité d’hôte chez Xanthomonas, à l’aide de la biologie synthétique.

Les effecteurs de type III, injectés dans la plante, sont déterminants pour expliquer la spécificité d’hôte. En effet, des chercheurs se sont rendu compte qu’il n’y avait aucune concordance entre la phylogénie des Xanthomonas et leur capacité à parasiter ses plantes hôtes, mais que le répertoire des effecteurs de type III est déterminant : certains clades d’effecteurs correspondent précisément à certaines plantes hôtes. Xanthomonas est un genre très utile pour travailler cette question de spécificité d’hôte.  Chez Xanthomonas, on parle de pathovar pour désigner une espèce bactérienne dont la pathogénicité est limitée à une ou à très peu d’espèces végétales apparentées. Cependant ce critère est biaisé, il ne prend pas en compte la totalité de la gamme d’hôtes de l’espèce et surtout on ne comprend pas ses bases moléculaires. Ce que j’essaie de décortiquer est justement l’effet du contenu en effecteurs sur la préférence d’hôte.

(IM) Quel est le pathosystème que tu vas utiliser ?

(CZ) Dans l’équipe, nous travaillons sur le modèle Xanthomonas campestris pv. campestris (Xcc) - Brassicaceae, qui regroupe des plantes comme Arabidopsis, le chou ou le chou-fleur. Nous avons développé une souche désarmée de Xcc, c’est-à-dire dépourvue de l’ensemble des ses effecteurs et non pathogène, qui nous permet désormais d’étudier l’effet de différentes combinaisons d’effecteurs bactériens. Concrètement, nous réintroduisons des groupes d’effecteurs dans cette souche et, grâce à un système de code-barres couplé au séquençage, nous mesurons leur capacité à coloniser différentes plantes.

 

Inoculation de plantes de manioc en serre. ©C. Zárate-Chaves
Inoculation de plantes de manioc en serre. ©C. Zárate-Chaves

 (IM) Concrètement, quel est l’objectif de tes recherches à long terme ?

(CZ) Mon premier objectif est de comprendre le rôle de l’effectome (l’ensemble des effecteurs) dans la pathogénicité et l’adaptation à l’hôte. Dans un second temps, nous prévoyons d’introduire des effecteurs provenant d’autres espèces de Xanthomonas, notamment celles infectant les solanacées (comme la tomate ou le tabac), afin de comparer leur fonctionnement et évaluer leur effet sur des plantes hôtes et non-hôtes. L’objectif à long terme est de modéliser le risque de saut d’hôte, autrement dit de comprendre comment un pathogène d’une espèce donnée peut en infecter une autre. Ce travail est particulièrement d’actualité : des cas récents de contamination du colza par Xanthomonas ont été observés, illustrant le risque réel d’émergence de nouveaux pathogènes.

(IM) Quelles sont tes impressions depuis ton arrivée au LIPME ?

(CZ) J’ai été marqué par le haut niveau scientifique dès mon premier séminaire, aussi bien dans les présentations que dans la discussion. L’équipe est très accueillante, bonne cohésion et esprit d’entraide. Sur le projet Toulouse Plant science, projet de rapprochement des unités du campus travaillant sur la biologie des plantes et des microbes associés,  il est difficile d’en saisir tous les enjeux au début, mais c’est un projet ambitieux très porteur de sens.


Implication dans le collectif du LIPME


(IM) Peux-tu nous parler de ton implication dans le comité égalité du LIPME ?

(CZ) Au fil des années, alors que l’on s’interroge sur les moyens de construire un monde plus juste, mon intérêt croissant s’est affirmé autour des questions d’égalité homme-femme dans le cadre professionnel. Les échanges avec mes collègues et ami·e·s m’ont amené à prendre conscience des privilèges, des écarts et des injustices liés au système traditionnel, ainsi que de leurs profondes conséquences sociétales.

J’ai rejoint le comité d’égalité en début d’année et, depuis, nous avons échangé autour de plusieurs initiatives visant à améliorer le quotidien des collègues femmes au travail, mais aussi à sensibiliser l’ensemble du personnel aux problématiques telles que les violences sexuelles et sexistes, le plafond de verre ou encore l’effet Matilda. Nous participons également à des formations ouvertes à tous et toutes, dispensées par la société Coop-Egal dans le cadre d’un programme initié par le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Je suis heureux d’y participer et de soutenir les efforts collectifs visant à rendre ces problématiques plus visibles et à accélérer le changement vers un environnement plus équitable.

(IM) Et tes hobbies ?

(CZ) Mes hobbies sont fluctuants : j’aime danser le Lindy hop, je nage souvent. Selon les périodes, je pratique aussi le vélo, la randonnée, la lecture et le bricolage.


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Parcours universitaire :

2010-2011 : Master à l’Université de Navarre à Pampelune en Biotechnologie agricole.

2013-2016 : Master à l’Université de los Andes à Bogota en Microbiologie moléculaire (équipe LIMMA).

2017-2021 : Doctorat à l’UMR PHIM de Montpellier (équipe XPLAIN)

2022-2023 : Post-doctorat au département ECOBIO dans l’UMR IRD PHIM, Montpellier (équipe XPLAIN).

2023-2024 : Post-doctorat entre les unités PHIM et MIVEGEC, Montpellier (équipe Virostyle).

01/01/2025 : Recrutement comme chercheur INRAE au LIPME.

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Voir aussi


[1] Carlos Andrés Zárate Chaves. New insights into the diversity and function of Transcription Activator-Like effectors of Xanthomonas phaseoli pv. manihotis, the causal agent of Cassava Bacterial Blight. Phytopathology and phytopharmacy. Université Montpellier, 2021. https://theses.hal.science/tel-03666640v1


[2] CRISPRi in Xanthomonas demonstrates functional convergence of transcription activator-like effectors in two divergent pathogens. Zárate-Chaves CA, Audran C, Medina Culma CA, Escalon A, Javegny S, Gagnevin L, Thomas E, Pimparé LL, López CE, Jacobs JM, Noël LD, Koebnik R, Bernal AJ, Szurek B. New Phytol. 2023 May; 238(4):1593-1604. https://doi.org/10.1111/nph.18808


[3] Pérez, D., Blondin, L., Caillon, S., Pruvost, O., Szurek, B., Vernière, C., Zárate-Chaves, C. A., & Duputié, A. (2025). Effect of seed circulation systems on the spread and diversity of Xanthomonas phaseoli pv. manihotis infecting cassava crops of the Colombian Caribbean. Plants, People, Planet, 1–12. https://doi.org/10.1002/ppp3.70086


[4] Comment les plantes se protègent-elles contre les maladies. Carlos Zárate-Chaves. The Conversation, 12 mars 2024, 17. https://doi.org/10.64628/AAK.3tcn5mwvd

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